Interview avec : Olivier Bronckart, CEO de MOONDAY
Le problème aujourd’hui, est que les informations ne viennent pas à vous. Vous devez en permanence courir après ou alors vous passez à côté ou elles sont perdues. Et c’est là que Moonday intervient.
Entrepreneur récidiviste du monde du Cinéma, Olivier Bronckart s’est forgé un nom incontournable en quelques décennies. Tour à tour producteur, distributeur, financier, il multiplie les casquettes sans cesser d’innover. Après Versus Production (créé avec son frère Jacques-Henri en 1999), après Inver Invest, ou O’Brother, voilà qu’en 2018, Olivier a l’idée géniale de créer Moonday !
Sorte de crossover entre Linkedin et Facebook, Moonday, c’est la database, la plateforme collaborative et le réseau social incontournable à destination des professionnels de l’industrie du cinéma. D’ailleurs, vous n’êtes sûrement pas passé à côté…
Au vu de ce parcours riche, varié, inspirant, différent, vous comprendrez qu’il était impossible pour moi de ne pas interviewer Olivier. C’est donc par un après-midi de janvier que nous nous sommes réunis en visio pour évoquer son parcours et revenir, en détail, sur les caractéristiques de Moonday. Nous étions trois : Olivier, Martin, mon assistant, et moi.
Bonne lecture.
Estelle : Bonjour Olivier, merci d’avoir accepté mon invitation. Ton nom est connu dans le milieu du Cinéma, il est pour jamais attaché à celui des frères Dardenne, on te connaît en tant que producteur, distributeur, investisseur… Pourrais-tu nous parler un peu de ton parcours atypique ? Où commence-t-il ?
Olivier Bronckart :C’est à la fois par hasard et pas tout à fait non plus. Je m’orientais plutôt vers des études scientifiques et très rapidement, je me suis rendu compte que ce n’était pas la direction que je voulais prendre. Je me suis alors retrouvé à l’université à Liège en philosophie et communication. C’est là que j’ai découvert le cinéma, avec des cours théoriques, notamment un de production, relativement basique, et je me suis dit « c’est dingue, ça touche à tout ! ». Ça permet à la fois d’être en contact avec le cinéma, ce qui était une passion (même si je ne suis pas un cinéphile au sens de tout connaître et tout retenir, mais un j’ai vrai goût pour le cinéma), et d’avoir un aspect plus industriel ou « business ».
J’ai donc décidé de faire mon mémoire de fin d’études sur l’état de l’industrie cinématographique au niveau européen à l’aube du troisième millénaire — ce qui était assez ambitieux. Ça m’a permis d’avoir une vue à 360 degrés du secteur du cinéma, tant au niveau de la production que de la commercialisation, et de comparer avec d’autres pays, notamment les États-Unis. En parallèle, j’ai fait un master en gestion management à HEC à Liège, qui m’a permis de me professionnaliser en termes de gestion financière et de droit. Je suis donc arrivé avec des compétences hybrides dans un secteur qui était en train de s’organiser et se professionnaliser en Belgique. Ce qui était clairement un avantage : je n’ai jamais eu à chercher de travail, on m’en a proposé… (rires). J’ai eu Jean-Pierre Dardenne comme lecteur de mon mémoire, et très rapidement, j’ai été engagé. J’avais fait mon stage comme assistant de production sur La promesse, je suis resté engagé un an au niveau administratif avant de prendre le rôle de producteur exécutif des Films du Fleuve. Puis est venue l’année de Rosetta (tourné en 1998) et la palme d’or en 1999, année où j’ai également créé Versus production avec mon frère. Ce premier festival de Cannes a été quelque chose de magique : arrivée le vendredi, projection de Rosetta le samedi et la palme le dimanche, c’était une expérience délirante, j’avais 25 ans !
Ensuite j’ai travaillé dix ans avec les frères Dardenne, jusqu’en 2008 lorsque je les ai quittés pour me consacrer à Versus production et Inver Tax Shelter, société que j’avais déjà créée entre-temps, puis viendra la création de la société de distribution.
Estelle : On reviendra plus tard sur ta carrière si tu le veux bien pour nous concentrer sur Moonday. Comment est né Moonday et à quels besoins cela répondait-il ?
Olivier : Le point de départ, c’était de se rendre compte de la fatigue qui pouvait exister dans les échanges entre les gens d’une même société, mais encore plus entre les gens de différentes sociétés… ce qui était mon quotidien et aussi celui de mes collaborateurs. L’idée était vraiment d’être dans quelque chose d’ouvert puisqu’on constatait que la communication passait un peu de manière « douloureuse ». Et puis, ça partait aussi du constat qu’en tant que distributeur, il m’était parfois très difficile de trouver des informations sur des films, alors qu’en tant que producteur, on transmettait quelques fois des informations qui ne circulaient pas nécessairement comme on le souhaitait. Au final, tout cela prenait énormément de temps… Le cinéma est un secteur extrêmement granulaire, toute la structuration de l’audiovisuel est très morcelée, et en même temps on est dans une industrie de « prototypes » : chaque film est unique, il est fait de manière différente et l’équipe n’est jamais vraiment la même. Par exemple, entre le premier Matrix et le deuxième, beaucoup de choses changent — contrairement à la plupart des secteurs où les processus de fabrication et de vente restent à peu près les mêmes.
Quand on voit la quantité de films produits et la chaîne des droits, ça demande une énergie considérable pour s’y retrouver et suivre les informations. Pourtant, tout le monde cherche à peu près les mêmes choses, les mêmes informations sur les films et sur les possibilités d’en faire ou d’en distribuer en fonction de ses besoins. Aujourd’hui, les principaux moyens de s’informer dans le milieu de l’audiovisuel, sont peu efficaces car ils ne sont pas organisés dans un cadre professionnel et de business : par exemple, on en est inondé de mails, et en période de festival c’est absolument ingérable et inefficace. Dans ce méandre, ça prend beaucoup d’énergie de trouver précisément ce qu’on cherche. Sur les sites des maisons de productions ou des distributeurs, souvent les informations ne sont pas mises à jour, et surtout, elles ne le sont pas en temps réel… Il faut comprendre l’organisation de chaque site pour trouver les informations recherchées. C’est là où je me suis dit : si ces informations sont centralisées autour du film plutôt que de suivre la chaîne de droit, ce sera beaucoup plus simple. Cette idée me paraissait d’autant plus évidente que dans le secteur, tout se définit presque en fonction de la filmographie, du catalogue ou du lineup.
Casser la chaîne des droits ne veut pas dire perturber l’organisation du secteur. La communication est très segmentée et on peut avoir de l’intérêt de suivre les sociétés avec lesquelles on a déjà collaboré, les techniciens avec qui on a travaillé, les comédiens qui se sont donné pour la promo du film, etc… L'envie de suivre l’actualité de quelqu’un s’avère vite assez compliquée.
Par exemple, Vincent Lindon : ma société a distribué En Guerre de Stéphane Brizé. Vincent Lindon a assuré la promotion du film et était fortement impliqué avec le réalisateur. En tant que distributeur, cela m’intéresse de savoir dans quels films il va tourner ensuite. Plus je le sais tôt, mieux je peux me positionner. Je sais qu’il fait des choix judicieux, réfléchis et qu’il défendra le film lors de la promotion.
Lorsqu’on a des films en catalogue, on a besoin de communiquer autour : pour leur promotion, pour les vendre, pour les diffuser.
Il est important de pouvoir trouver, suivre et communiquer avec son équipe autour des films que l’on prospecte et une fois les droits acquis, il est important de mettre en avant ces films que l’on défend… qu'ils soient accessibles ! Le problème aujourd’hui, est que les informations ne viennent pas à vous. Vous devez en permanence courir après ou alors vous passez à côté ou elles sont perdues.
Et c’est là que Moonday intervient.
Grâce à l’intelligence artificielle et à la centralisation, Moonday apporte des informations et traite un maximum de données pour ne plus qu’elles soient cherchées, mais directement proposées en fonction de ses centres d’intérêt et de ce qu’on suit. Si je partage des informations sur Moonday et que mes partenaires sont sur la plateforme, ils auront les informations en temps réel directement sur le fil d’actualités. Moonday fonctionne dans un environnement connu de tous, c’est-à-dire comme un réseau social, mais exclusivement dédié aux professionnels de l’audiovisuel.
Sur Moonday, il y a plus d’infos mises à jour et facilement digérables pour tous les acteurs du milieu. Je vais donc pouvoir trouver plus vite et plus facilement ce qui m’intéresse.
Si un film m’intéresse, je le mets dans mon pipeline de prospection, je vois qui est le producteur ou le vendeur et je peux prendre contact avec lui puis avoir accès directement à toutes les nouvelles informations. Je peux aussi partager des notes et des tâches avec mon équipe. Le but est de pouvoir suivre le film aux différentes étapes sans devoir recopier des infos dans une organisation simple et partageable. Et ça fonctionne aussi si on est comédien ou technicien !
Estelle : Pardon de te couper mais, à propos, pour les comédiens, les techniciens ou les auteurs, l’idée c’est de se mettre en valeur, un peu comme une sorte de CV ?
Olivier : Tout à fait, avec la volonté aussi derrière de pouvoir suivre les réalisateurs et de prendre contact de manière proactive avec eux, c’est-à-dire en amont du projet. Cela permet de mieux gérer et répartir son temps et ses emplois, qu’on soit jeune assistant ou ingénieur confirmé. Et encore une fois, pour ces personnes, la plateforme permet de suivre les autres et de trouver du travail en se tenant informé de leurs activités. Le but est de créer une véritable communauté d’échange.
Estelle : Si je ne me trompe pas, vous êtes ouvert à l’Europe et aux États-Unis ? La francophonie n’est pas votre seul terrain de jeu.
Olivier : Alors, on n’a pas encore eu le temps de faire le bilan de l’année passée, mais on avait plus de 4 500 inscrits au 31 décembre et plus de 600 en janvier. On a une accélération soutenue, une croissance d’audience de 50% tous les mois depuis le mois d’octobre — cela grâce à l’arrivée des fonctionnalités du réseau social. En termes de territoires, nous avons des utilisateurs sur plus de 100 territoires, et 40 territoires où nous avons minimum 10 inscrits.
Estelle : Quels sont vos objectifs pour 2022 ? Toucher de plus en plus de monde, de sociétés, de territoires, développer d’autres fonctionnalités ?
Olivier : C’est tout ça à la fois. On a surtout un besoin de monétisation, parce que la machine coûte cher à faire tourner. C’est pourquoi il existe l’option Premium. Jusqu’à un certain niveau c’est gratuit, au-delà de ça, il faut passer en Premium. Il y a également des services spécifiques qui permettent d’avoir des statistiques en temps réel, notamment pour les fonds ou les commissions. Par exemple, le CNC n’est pas client, mais on a plus de 2 000 films répertoriés, ce qui nous donne la possibilité de leur offrir les services de Moonday sans effort important de mise en route. Par exemple, si trois sociétés de productions travaillent sur un même film, la demande de mise à jour ne se fait qu’une fois : ce qui a été rempli par l’une n’a pas besoin d’être à nouveau rempli par l’autre -- c'est l’avantage de la centralisation et du partage. Quand un producteur complète des informations, il le fait aussi pour les autres partenaires. Ces mises à jour simples, centralisées et rapides permettent d’établir des bilans directement sur base de statistiques en permanence disponibles. Moonday peut fournir des données statistiques privées et publiques pour les entreprises ce qui est un gain de temps considérable. Certains fonds et commissions suivent leur catalogue à partir de tableaux Excel.
Martin Sultan : Comment Moonday a contribué et soutenu la reprise des tournages et sorties de films après la première partie de la crise sanitaire ?
Olivier : On avait mis en place des outils pour soutenir cette reprise en partageant des données de manière confidentielle qui remontaient vers des associations professionnelles pour qu’elles puissent justement mettre en place une politique et soutenir au mieux le secteur.
Estelle : Est-ce qu’on peut revenir un petit peu sur ton parcours et surtout, ta vision du cinéma ? Tu as eu différentes casquettes (producteur, financier, distributeur) et tu as côtoyé et découvert beaucoup de talents ; selon toi, qu’est-ce qui fait un bon auteur/réalisateur et une œuvre prometteuse ?
Olivier : Évidemment, s’il y avait une recette ça se saurait ! (Rires). À mon sens, le point commun, ce sont les convictions. A un moment donné, il faut être obsessionnel. Je pense que c’est la même chose dans votre métier ou quand on est entrepreneur. Il faut avoir l’énergie de se jeter à l’eau et de fendre les vagues, de prendre des risques, d’essayer d’être compris et d’accepter les refus et savoir comment continuer. La réussite n’arrive pas tout de suite, la reconnaissance non plus. En tant qu’entrepreneur, je peux voir pleins d’analogies avec les artistes. C’est le côté profession de foi. Le prix à payer, c’est de savoir jusqu’où on peut aller.
Toutefois, ce qui a plus de potentiel qu’autre chose, je pense que c’est d’abord une question d’écoute et de volonté d’aller dans le même sens. La peinture ou la littérature, ça peut se faire seul. Mais le cinéma, c’est un travail d’équipe. Quand je disais que c’est un prototype à tous les moments, il faut accepter cela. Il y a une chose que les Dardenne m’ont apprise, c’est qu’en cas d’échec, pour avancer il faut se remettre en question et ne pas trouver la raison de cet échec chez les autres. Quand on se casse la gueule, quand on n’arrive pas là où on voulait aller, ça ne sert à rien d’accuser les autres parce qu’on a pas d’influence sur eux. Donc, il faut savoir se poser les bonnes questions et trouver les erreurs qu’on a faites pour ne pas retomber au même endroit.
Pour le reste, c’est du feeling. On a fait Je suis mort mais j’ai des amis qui est une comédie décalée, À perdre la raison qui est un drame ; c’est toujours le regard du ou des réalisateurs, la manière de poser les choses et comment on peut échanger avec eux qui sont importants. C’est la richesse du partage et de la collaboration, parfois la capacité de ne rien lâcher, mais aussi de savoir lâcher ce qui n’est pas essentiel — c’est-à-dire, savoir évoluer et se remettre en question.
Estelle : Quand tu recevais des scenarii en tant que producteur, qu’est-ce qui faisait que tu pouvais les accepter ou les refuser ?
Olivier : Je crois qu’avant tout c’est un contexte. Si tu engages quelqu’un pour travailler avec toi, tu vas regarder son profil et sa mentalité, comment il réfléchit, etc. Nous, on a été confrontés quelques fois, avec mon frère, à des gens qui voyaient aussi d’autres producteurs. Finalement, ils allaient dans la direction où on les brossait dans le sens du poil quand de notre côté, on leur disait ce qu’il y avait à retravailler. Par la suite, on se rendait compte que la problématique qu’on avait souligné pouvait subsister. La franchise est un trait extrêmement important car elle permet de rentrer dans une relation franche de collaboration.
Quand on arrive et qu’on vient de nulle part, c’est difficile d’être écouté et encore plus de convaincre. Au lendemain de la deuxième palme d’or des Dardenne, un journaliste m’avait posé la question « Qu’est-ce que vous vous dîtes avec cette deuxième palme ? », et j’ai répondu que s’ils n’avaient pas eu l’opportunité de réaliser deux long-métrages avant La Promesse ils n’auraient jamais remporté ces Palmes d’Or. Pouvoir échouer… commercialement ou artistiquement est fondateur ! Ce qui fait les Dardenne, c’est leur cheminement. C’est important de se rappeler que les grands noms du cinéma ont dû faire leurs preuves comme tout le monde et sont partis de rien.
Estelle : C’est vrai, le public n’en a pas forcément conscience et c’est bien de le rappeler Merci Olivier, on ne va pas t’embêter d’avantage…
Olivier : Vous ne m’embêtez pas du tout, ça me fait plaisir de discuter un peu, et de ne pas être tout le temps le nez dans mon écran..!
Martin : J’ai une dernière question alors… Pourquoi le nom de Moonday ?
Olivier : Au départ, j'avais en tête le Voyage dans la lune de Méliès, parce qu’on avait acquis les droits de la version restaurée avec la bande-son du groupe Air. L’idée d’atteindre la lune, tout le monde regarde les étoiles en rêvant. La nuit c’est aussi le cinéma, le noir avec cette idée de salle obscure… Et puis il y a Moonday/monday, le lundi c’est le début de la semaine, le jour où l’on fait la programmation, avec l’idée du « on » — le sigle de Moonday c’est le Voyage dans la lune et le sigle on. Et évidemment, il y a le côté un peu fantaisie, légèreté, cette envie d’aller jusqu’au bout. Avec mon associé on avait aussi dans la tête le film de Scorsese, Hugo Cabret, que j’avais vu avec mes enfants à la suite du Voyage dans la lune et qui m’avait laissé une impression incroyable.
Estelle : Pour conclure, quels sont tes 3 films favoris (même si on sait qu’il y en a bien plus) ?
Olivier : C’est marrant parce que j’ai revu pas mal de films avec mes enfants en confinement. J’ai revu Les beaux gosses avec eux, on s’est bien marrés et je me suis dit c’est ça qui est génial, c’est le partage. J’ai aussi revu Hasta la vista, un film flamand qui met en scène trois jeunes adultes handicapés qui convainquent leurs parents de les laisser partir en voyage. Leur but, c’est d’aller dans un bordel en Espagne pour découvrir le sexe et les femmes… Le film est fantastique, c’est une super belle histoire. Et après je pensais à Big Fish, que j’ai vu beaucoup de fois et il y a une émotion incroyable. A chaque fois, je le redécouvre et j’adore.
Estelle : Merci beaucoup pour cette interview Olivier !
💫 Pour aller plus loin….
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